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Bette, blette ou poirée blanche (Beta vulgaris var. cicla ou Beta vulgaris var. vulgaris), Betterave rouge ou potagère (Beta macrocarpa Guss, Beta vulgaris
var. conditiva, Beta vulgaris var. esculenta), betterave à sucre (Beta vulgaris var. altissima), betterave fourragère (Beta vulgaris var. alba ou Beta vulgaris var.
crassa), betterave maritime (Beta vulgaris var. maritima),
Famille des Chénopodiacées.
"Voire la racine est rangée entre les viandes délicates,
Dont le jus qu'elle rend en cuisant, semblable au sirop de sucre,
Est très beau à voir par sa vermeille couleur".
Olivier de Serres[1]
Bette et betterave proviennent de la lente amélioration de la bette maritime (Beta maritime), plante sauvage poussant sur les pourtours méditerranéens et atlantiques. Les Romains leur auraient donné le nom de Beta par analogie à la lettre grecque de la forme prise par la tige inclinée de la plante chargée de graines. Bette signifie rouge en langue celtique. Encore nommée blette[2] ou poirée[3], la bette à carde s’est ensuite distinguée de la bette-rave dont on utilise la rave ou la racine. Le mot poirée est une altération de porrum ou poireau. On distingue la betterave dont on mange la racine, de la poirée dont on mange la base des feuilles. Certaines poirées sont cultivées comme plante décorative[4] que l’on trouve dans les jardins botaniques et les jardins anglais.
Les premières traces archéologiques prouvent que les Celtes avaient domestiqué la forme sauvage deux mille ans av. J.-C. Consommée depuis l’Antiquité en tant qu’"herbe à pot", la bette a été sélectionnée par l’homme, au fil du temps, pour l’ampleur de ses "côtes" (grosses nervures). Les premières traces de bettes se trouvent dans les jardins de Babylone. On trouve également des traces de feuilles de bette figurant parmi les offrandes du sanctuaire de Delphes. Les betteraves étaient déjà cultivées par les Egyptiens, les Grecs et les Romains, mais à cette époque, seules les feuilles étaient consommées. Les Romains se servaient des feuilles pour faire des soupes. Son feuillage ressemblant à celui de l’épinard, elle reçut le nom d’épinard romain. C’est Aristote[5] qui décrivit la bette rouge comme un objet artistique. A cette époque, les racines étaient utilisées en médecine.
Charlemagne l’introduisit dans la cuisine et la fit planter dans ses potagers avec d’autres légumes. Au Moyen Age la bette, avec le poireau, est l’ingrédient principal de la poirée ou porée, soupe de légumes et d’herbes qui composait l’ordinaire des pauvres.
En Allemagne au Moyen Age, les paysans faisaient une grande consommation de betteraves. La France la découvrit réellement à la fin du XVIème siècle par les écrits d’Olivier de Serres qui fut le premier à la mentionner. C’est au milieu du XIXème siècle qu’elle devint un légume populaire. Au XIXème siècle en Russie, elle était considérée pour sa valeur nutritive.
La Révolution de 1789 engendra des conflits internationaux qui paralysèrent le commerce du sucre, tributaire des transports maritimes. En 1792, la guerre éclata entre les Français et les Anglais ; la flotte britannique empêcha les navires marchands venant des colonies d’Amérique d’arriver dans les ports français. Le sucre étant rationné, son prix atteignit dix fois celui d’avant la Révolution. C’est le chimiste allemand Marggraf[6] qui, le premier, a su reconnaître la présence de sucre cristallisé dans le jus de la betterave ; en 1786, son élève Franz Carl Achard construisit une fabrique expérimentale avec la variété "Blanche de Silésie" en extrayant le sucre présent dans la betterave. Plusieurs usines furent édifiées en Silésie et en Bohème et deux petites sucreries furent fondées dans la région parisienne. C’est un Français Crespel-Dellisse[7] d’Arras, qui mit au point la technique. En 1828, il écrivait : « En 1810 et 1811, je n’employai que des procédés peu stables ; je me servais de forte lessive, de cendre, de chaux, ou de grès pulvérisé. Je travaillais ainsi toute la campagne. Je râpais mes betteraves au moyen d’une tôle percée de trous, fixée sur un cadre ou châssis de bois, etc. ». En 1812, Benjamin Delessert[8] fonda une fabrique de sucre de betterave, ce qu’il lui valut le titre de baron d’Empire. Napoléon encouragea alors la production massive de betteraves à sucre. Il distribua un million de francs aux agriculteurs qui acceptèrent de pratiquer cette culture. Aujourd’hui, cinquante pour cent du sucre raffiné provient de la betterave à sucre.
Quelques traditions populaires sont associées à la betterave. Elle est tout d’abord vouée à l’amour. Si un homme et une femme légèrement plus âgée que lui, mangent ensemble une même betterave en se regardant dans les yeux, on dit qu’ils éprouveront une violente passion l'un pour l'autre. En outre, c'est son jus qui sert souvent d'encre colorante dans les pactes d'envoûtement d'amour. En Inde, si l’on place une betterave dans un verre de cristal à moitié rempli d'eau, sa partie supérieure laissée à l'air libre deviendra un talisman à condition d'invoquer le nom de Shiva en formulant un vœu ; il se réalisera si la plante, laissée dans le coin d'une pièce entre l'ombre et la lumière, se met à bourgeonner.
Sa couleur est également à l’origine de plusieurs expressions. Dans le langage populaire français, "avoir un nez de betterave" signifie avoir un nez rouge foncé dû à une consommation excessive d’alcool. "Des doigts de betteraves" sont le résultat d’engelures. Chez les Belges, lorsque les feuilles de betterave montrent leur envers, elles annoncent la pluie. Selon un précepte breton, pour que les betteraves soient très belles, il faut les planter le jour de la Saint-Jean.
La couleur de la betterave provient d’un pigment azoté rouge violacé, la bêtacyanine, de la famille des anthocyanines[9].
La soupe de betteraves, le borchtch, est une spécialité russe.
La betterave est dite énergisante, mais elle est très riche en sucre. Elle ouvre également l’appétit en augmentant la sécrétion des glandes salivaires.
Plusieurs produits sont dérivés de la betterave : la pulpe pour l’alimentation animale, les feuilles comme engrais dans les champs, la mélasse (sirop servant à fabriquer la levure de boulangerie), l’alcool utilisé dans les produits ménagers ou chimiques.
[1] Agronome français (1539 – 1619). Il fit de sa propriété une ferme modèle. En 1600, il écrivit son œuvre majeure, le Théâtre d’agriculture et mesnage des champs.
[2] Surtout à Nice, par analogie avec le niçois blea. D’ailleurs, la blette est devenue le sujet d’une chanson niçoise : la Blea de F. Barberis.
[3] La plupart des poirées sont à cardes blanches, à feuillage vert ou blond, que l’on mange en gratin.
[4] Ce sont les bettes à carde rouge ou poirée du Chili.
[5] Philosophe grec (384 – 322 av. J.-C.).
[6] Andreas Sigismund Marggraf, savant et chimiste allemand (1709 – 1782).
[7] (1789-1865).
[8]
Industriel, financier et philanthrope français (1773 – 1847).
[9]
Les anthocyanines sont des pigments naturels solubles dans l'eau allant du rouge au bleu dans le spectre visible. Ils appartiennent à la
classe des composés nommés flavonoïdes.